Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 13 avril 2009

Le temps de se sentir vivre

« Prendre d’instant en instant le temps de se sentir vivre, c’est se trouver libéré du droit et du devoir conjoints d’obéir et de commander. »

Philippe Sollers, Carnet de nuit

lundi, 06 avril 2009

Dans un tableau de Cézanne

cezanne-autoportrait-1880-81.jpgEssaye de vivre toute une journée en esprit, à chaque instant, dans un tableau de Cézanne. Tu verras bien.

Philippe Sollers, Carnet de nuit

Cézanne, autoportrait

dimanche, 05 avril 2009

Il faut d’abord verrouiller pour sortir

fragonard_verrou_1024.jpg« Oh écoutez, au point, où nous sommes, nous n’avons plus qu’une seule ambition, qu’on nous laisse tranquilles, que nous puissions vérifier l’expérience... Nous avons fermé la porte à double tour. Pour qu’on nous abandonne dehors. Paradoxe ? C’est ainsi. Il faut d’abord verrouiller pour sortir. Voilà, tous les autres sont rentrés, vous les avez mis dedans, la scène vous appartient pour un aparté rapide, on va vous montrer la merveille. Vous n’en parlerez à personne, promis ? »

P. Sollers, Les Surprises de Fragonard (début du texte)

Fragonard, Le Verrou

samedi, 04 avril 2009

La Guerre spirituelle

CIMG3182.jpg(D'après le roman : "Le secret" de Philippe Sollers) :

La force réside dans la profondeur d’action et non dans le front. Dans la guerre irrégulière, ce que font les hommes est assez peu important, ce qu’ils pensent, en revanche, est capital. L’essentiel au fond est d’amener peu à peu l’ennemi au désespoir, ce qui signifie un plein emploi stratégique plus que tactique et le fait constant de « se trouver plus faible que l’ennemi, sauf sur un point ». On compte donc sur la vitesse, la mobilité, le temps, l’avancée rapide suivie du recul immédiat, le coup porté et aussitôt interrompu pour être porté ailleurs, le modèle devenant celui musical de la portée et non de la force, avec initiative individuelle et, comme dans le jazz, une improvisation collective de tous les instants. Les irréguliers combattent le plus souvent sans se connaître, parfois même en évitant de se connaître, ou encore sans s’admettre entre eux. Ceci est vrai aussi désormais pour la guerre spirituelle et sa substance fluide et réversible de temps comme de mémoire. Dans la guerre irrégulière, le commandement central n’a plus besoin d’être réellement incarné par tel ou tel, la logique y suffit, si elle est portée à une certaine puissance.
On part du principe que l’ennemi croit à la guerre, au sens où un penseur irrégulier comme Kafka, par exemple, disait qu’une des séductions les plus fortes du Mal est de pousser au combat. L’adversaire croit à la guerre, il en a besoin (ne serait-ce que pour vendre des armes) , il lui faut susciter des conflits en attisant les haines.
La rébellion doit disposer d’une base inattaquable, d’un endroit préservé non seulement de toute attaque mais de toute crainte. De cette façon on peut se contenter de deux pour cent d’activité en force de choc et profiter d’un milieu à 98 % de passivité sympathique. L’expression évangélique « qui n’est pas contre nous est pour nous » trouve ainsi son application militaire. Vitesse, endurance, ubiquité, indépendance, stratégie (étude constante des communications) plus que tactique. Il s’agit avant tout de casser chez l’autre sa volonté viscérale d’affrontement. Il cherche à vous imposer sa logique de mort, à vous fasciner avec votre propre mort, vous refusez et refusez encore, vous l’obligez à répéter dans le vide son obstination butée, vous continuez comme si de rien n’était, vous lui renvoyez sans cesse son désir négatif, bref vous finissez par l’user, le déséquilibrer, c’est le moment de passer à l’attaque. Tel est pris qui croyait prendre. Le premier élément est le Temps lui-même, la Mémoire. Le deuxième élément, biologique, n’est plus la destruction éventuelle des corps (tout indique qu’ils n’ont plus la moindre importance) mais le regard détaché sur leur inanité transitoire et leurs modes de reproduction de plus en plus artificiels. Enfin les 9/10 èmes de la tactique sont sûrs et enseignés dans les livres mais le dernier dixième de l’aventure peut être qualifié de « Providence ». Après tout, quelqu’un, entouré seulement de douze techniciens, a ainsi atteint des résultats étonnants. Il ne s’agissait pas de paix mais de guerre, la plus irrégulière qui soit, même pas « sainte », à y regarder de plus près (comme si elle en avait pris les formes pour s’opposer justement, à ces formes).
Conclusion : la guerre irrégulière repose sur une paix si profonde que tout désir de guerre s’y noie et s’y perd. On fait la guerre à la guerre, on traite le mal par le mal, on fait mourir la mort avec la mort (mort où est ta victoire ?) , on circule à grande vitesse dans une immobilité parfaite, on ne vise aucun but, et c’est pourquoi, finalement, il y en a un.

Photo de Michèle Fuxa

mercredi, 01 avril 2009

L'irruption du divin

Photothèque - 0127.jpgCe qui est habituel, c'est ce à quoi l'autre s'attend. Ce qui est insolite, imprévu, c'est l'irruption du divin que l'autre n'a pas su prévoir. Ne jamais être où l'on voudrait que je sois. Il faut mesurer l'adversaire, s'adapter à ses actes ou à ses intentions, parvenir à le chosifier, à lui "donner matérialité et consistance" en le fixant sur un lieu déterminé. L'adversaire a été dupé par mon stratagème. Mon action virtuelle est parvenue à faire "surgir l'adversaire dans l'univers des formes". La réification de l'ennemi est la plus grande victoire que peut obtenir la stratégie. La chose n'est pas naturelle en quelque sorte, c'est ce qui fait sa vulnérabilté. Le vide au contraire, où l'adversaire se laisse piéger, est ce qui permet l'acte insolite. L'être est miné par le non-être, qui permet la surrection du divin.
Philippe Sollers, Guerres secrètes
Photo de Michele Fuxa

samedi, 21 février 2009

L'autre est amont

images.jpgOn apprend entre autres dans "Les Voyageurs du temps" de Philippe Sollers (que je vous recommande) qu'au 5, rue de Lille, à Paris, où Jacques Lacan officia (voir la plaque), Isidore Ducasse, comte de Lautréamont venait chercher chez un notaire la pension que lui envoyait son père de Montevideo et qui lui permit d'éditer à compte d'auteur ses Poésies. Lautréamont est mort à 24 ans en plein siège allemand de Paris, au 7 rue du Faubourg Montmartre ; j'ajoute qu'à cette adresse on trouve aujourd'hui (et depuis 1896) le superbe restaurant Chartier, où certainement Sollers ne va jamais, mais moi oui !RepasChartier.jpg

mercredi, 18 février 2009

« ...je fore, je fore dans le gisement

sound-design8.jpg[...] je trouve toujours quelque chose de nouveau ».

Philippe Sollers, donnait, ce récent lundi 9 février 2009, une conférence au Centre Pompidou, sur le thème « Ecrire, pourquoi écrire », prétexte pour parler de son nouveau livre Les Voyageurs du Temps ; lire et écouter ici

dimanche, 15 février 2009

Comme elle est vraiment

edouard_manet_gypsy_with_cigarette_aka_indian_woman_smoking_1862_1170238046.jpgIl n'y a que lui, le roman, pour l'affirmer, le temps, le retourner, le transformer, le retrouver, le faire respirer sous nos yeux comme une peau d'étalon de course, l'isoler, l'écouter, le dilater et le contracter, l'accélérer, le freiner, lui, et le cavalier qui l'écrit, qui le lit ; qui écrit et lit sa propre vie comme elle est vraiment.

Philippe Sollers, Grand beau temps

Manet

lundi, 09 février 2009

La dimension métaphorique d'un énoncé

Watteau_-_Laccord_parfait.jpg"Un romancier est quelqu'un qui a vu, au moins deux fois, quelque chose qu'il ne devait pas voir, et qui en triomphe. C'est tout."

"Dès que la pensée baisse, l'intolérable surgit. La pensée n'est qu'un camouflage de l'intolérable."

"L'énorme majorité des êtres parlants, vous le savez, sont enclins à juger tout à la lettre et c'est Freud lui-même qui nous dit que l'hystérie ça consiste à ne pas comprendre la dimension métaphorique d'un énoncé. Son érectibilité en somme."

Philippe Sollers, extraits de Grand beau temps, Aphorismes et pensées choisies

Watteau, L'Accord parfait

samedi, 07 février 2009

Profession : Voyageur du temps !

Philippe_Sollers_grand_beau_temps.jpgPhilippe Sollers, Grand beau temps, Aphorismes et pensées choisies, Le Cherche Midi, 2008, extraits :

  • Le temps ne travaille pas, c'est pourquoi il t'est favorable
  • Apprenez à manquer
  • C'est très beau des gens qui s'efforcent vers ce qu'ils sentent comme essentiel. Cela ne veut pas dire qu'ils l'atteindront, mais c'est très beau qu'ils fassent cet effort
  • Lacan a dit un jour "les sentiments sont toujours réciproques"

Lionel André, encre sur papier et photographie

 DSCN2692.JPG

jeudi, 29 janvier 2009

Le nerf de la guerre

Jean-Antoine-Watteau-L-Indifferent-The-Casual-Lover-.jpgJe lis ces temps-ci les Mémoires de Saint-Simon. Il n’y a rien de plus urgent, à mon avis, à lire aujourd’hui. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi. Ouvrez n’importe quel volume, et vous allez être absolument passionné par la description de l’époque. Je ne parle pas de ceux qui imitent Saint-Simon pour décrire aujourd’hui la situation politico-mondaine dans laquelle nous sommes plongés, je parle de Saint-Simon lui-même. Et si vous lui aviez dit, au duc de Saint-Simon : « Alors, vous faites de la littérature, vous êtes écrivain ? », il vous aurait regardé avec un air de profonde stupéfaction : « Écrivain ? je ne suis pas écrivain ! » Il s’excuse même de son style, alors que c’est le plus brillant qui ait jamais existé en français, le plus remarquable, le plus pointu… « Je n’ai jamais su être un sujet académique, je n’ai jamais pu me défaire d’écrire rapidement. Je ne comprends pas ce que vous dites, je ne suis pas écrivain, je suis le duc de Saint-Simon, j’écris mes Mémoires. De la littérature ! Mais de quoi parlez-vous ? J’écris la vérité, la vérité à la lumière du Saint-Esprit. » Là, tout à coup, le concept de littérature explose. Nous pénétrons dans ce que le langage peut dire à un moment comme vérité. La vérité pour Saint-Simon, c’est quelque chose de tout à fait saisissant : tout est mensonge, corruption, chaos, la mort est là toutes les trois pages, les intrigues n’arrêtent pas, c’est un brasier de complots, l’être humain a l’air de passer comme une ombre, attaché à tout ce qu’il peut y avoir de plus sordide, de plus inquiétant. Lisez, par exemple, son portrait du duc d’Orléans, et vous serez saisi d’admiration. Vous êtes devant quelque chose qu’un universitaire vous dira être de la littérature et, évidemment, c’est tout autre chose: c’est une position métaphysique très particulière, quelqu’un qui écrit en fonction de ce qu’il veut dire comme vérité.
Philippe Sollers, extrait de "La littérature ou le nerf de la guerre", lire ici en entier

Watteau, L'indifférent

samedi, 24 janvier 2009

La Comtesse de Chinchon

Condesa_de_chinchon.jpgElle est là, dans un fauteuil dont elle ne sortira plus, dans sa robe de taffetas blanche, juste posée dans la soie, petit bout de soulier en bas, comme si elle tirait la langue. Duex bagues, des bras, un coude, une drôle de petite plante verte sur la tête. Ce n'est pas la duchesse d'Albe, dont la nudité peut encore faire rêver des adolescents avisés, mais une curieuse poule aristocratique, à la bêtise inébranlable et sympathique, vive, aigüe, méchante, innocente (petits yeux noirs lumineux tournés vers la gauche). Elle se laisse prendre par son peintre dont elle ignore absolument le génie, il entre dans son bonnet de dentelle, sa nacre, sa chasteté fade, bouclée. Cette comtesse va vieillir très vite, elle ressasse déjà les platitudes de son temps, elle va rejoindre les vieilles sorcières venimeuses et macabres, mais, pour l'instant, elle est sauvée par les conventions, le protocole. Que serait-elle aujourd'hui ? Une petite-bourgeoise, peut-être ministre. Là, elle vaut beaucoup, et elle ne vaut rien. Elle resplendit de son rien.

Goya, La Comtesse de Chinchon

Sollers, Les Voyageurs du temps

mercredi, 21 janvier 2009

La laitière

goya-la-laitiere-de-bordeaux580.jpgLa laitière de Bordeaux est un tableau fascinant. On sait qu’à l’époque, de jeunes paysannes venaient des environs apporter du lait en ville. Celle-ci est donc venue, sans doute chaque matin, chez Goya. Elle apparaît recueillie, incurvée, absorbée, nacrée, sur fond de ciel irisée. Elle est très brune et très solide, c’est une annonciation avec ciboire de lait moussant qu’elle apporte, vache sacrée, à son vieux bébé de peintre déjà sourd. Elle est vierge, bien entendu, mais divisée par cette grande avancée de jambes et de cuisses cachées. Attention, très attentive, sérieuse, presque sauvage dans sa tournée. C’est un ange, le ciel l’envoie, comme un caprice de lumière, au milieu des désordres de la guerre, des cauchemars, des tortures, des vampires, des vieilles sorcières édentées. C’est l’éternel retour de la duchesse d’Albe, à l’aube, qu’on a connue autrefois très nue ou très habillée. Elle ne fait que passer chez ce demi-fou, exilé espagnol qu’elle aime, de même que les femmes brunes, d’instinct, n’ont pas manqué de repérer ce jeune Allemand que l’on dit poète. Du vin, du lait.

Extrait de "Les Voyageurs du temps"

Goya, La laitière de Bordeaux

lundi, 19 janvier 2009

Les Voyageurs du temps

chirico-04X.jpgVoici un très bon papier sur "Les Voyageurs du temps" de Philippe Sollers, signé Yann Moix, dans Le Figaro littéraire :


"On croit toujours qu'un écrivain, c'est quelqu'un qui raconte. Non, désolé : un écrivain, c'est quelqu'un qui pense. Si on aime la fiction, pas la peine de lire : la réalité en est pleine. On aurait tort de laisser la pensée aux philosophes, qui ne sont finalement que des professeurs. Quand ils n'expliquent pas la pensée de leurs grands prédécesseurs, ils expliquent la leur : quelqu'un qui explique une pensée est quelqu'un qui ne pense pas. Seul, face au monde, se dresse donc l'écrivain, le vrai. De la vision du monde d'un philosophe, il ne reste que le monde, ce qui n'a aucun intérêt. De la vision du monde d'un écrivain, il reste avant tout la vision, ce qui n'a pas de prix. C'est là le sujet des Voyageurs du temps de Sollers : si aujourd'hui tout le monde vise la même chose, c'est parce que tout le monde vise de la même façon.

Dans une société où l'homme est de moins en moins capable de produire une œuvre d'art, il ne lui reste plus qu'une arme : se moquer des artistes - en particulier des écrivains. S'en moquer au sens de n'en avoir cure, mais aussi au sens de les tourner en dérision. Hier encore, l'écrivain était une bête curieuse, il est aujourd'hui une bête tout court, et même, nous dit Sollers : la Bête. « La Bête sait au moins une chose : les parasites veulent lui voler sa vie et la nier en bloc. » Les parasites, ce sont ceux qui glosent (universitaires, profs, exégètes), ceux qui ironisent (humoristes, présentateurs de télé), ceux qui jugent (critiques, journalistes), ceux qui jalousent (seconds couteaux, mauvais écrivains), ceux qui méprisent (hommes politiques, hommes d'affaires), bref, ceux qui sont tournés toute la journée, à toute vitesse, vers le « progrès » et qui, aveuglés par l'effet immédiat, le rendement rapide, le résultat instantané, ne connaîtront jamais ce pays magnifique dans lequel Sollers et les siens voyagent, savent, peuvent voyager : le Temps.

Le Temps avec une majuscule, parce que c'est un temps spécial, parallèle, qui est celui de la postérité bien sûr (celle de la Pléiade et non du Panthéon), mais aussi du véritable présent, un présent fait de toute la mort du passé et de toute la vie de l'avenir. Si je pouvais habiter, à l'année, dans une toile de Watteau, dans l'Embarquement pour Cythère par exemple, ou passer deux mois de vacances dans Anna Karénine, ou encore un week-end dans Satin Doll de Duke Ellington, je serais un voyageur du Temps tel que Sollers le définit. Mais je peux aussi habiter toute ma vie dans mon œuvre, afin de préparer mon voyage : comme les saints ont accès à l'éternité du Ciel, il existe une éternité équivalente pour les écrivains, les peintres, les musiciens qui ont marqué (changé ?) l'humanité. Tous les génies y deviennent contemporains de tous les génies : Breton et Dante peuvent converser d'égal à égal, comme dans le Talmud des rabbins séparés de plusieurs siècles dans le temps chronologique et scolaire de l'histoire, se chamaillent sur des versets ou des points de la Michna.

Le temps n'est plus un problème quand on a la même fluidité que lui, quand on est de même nature que lui. Il ne s'écoule plus puisque nous nous écoulons avec lui, au même rythme que lui. Qui se donnera la peine de lire « vraiment » Les Voyageurs du temps ? Sollers n'est pas dupe : « presque » personne.

C'est ce « presque » qui sert de Vercors au résistant qu'il est, à ceci près qu'il est seul dans son propre maquis. Sollers m'aura appris une chose, depuis que je le lis : que la solitude est un enfer qu'il s'agit de retourner, de détourner en paradis. C'est bien cela que la foule parasitaire ne supporte pas : l'homme seul. Or, la figure absolue de l'homme seul, c'est l'écrivain. Certes, quand je lis ici que Sollers conspue violemment (Sollers n'est jamais agressif : il est toujours violent) le « parti intellectuel », la Sorbonne, l'université, les temps modernes et les progressistes, je me demande pourquoi il a tant de réticences sur Péguy, mais je me rassure en me disant qu'il ne l'a pas lu. Le jour où le Bordelais charmeur rencontrera vraiment l'Orléanais colérique, ça risque de faire très mal.

En attendant, je voudrais juste attirer l'attention sur ce fait majeur : au milieu du brouhaha et des rires, du second degré et de la vulgarité ambiante, Philippe Sollers, qu'on le veuille ou non, vient de lancer, depuis la Dogana, une bouteille à la mer du temps : ce livre. Que vous l'achetiez ou pas, que vous le lisiez ou non, aucune importance. Il se trouve que c'est peut-être un chef-d'œuvre. J'en sors bouleversé."

Philippe Sollers, Les Voyageurs du temps. Éditions Gallimard, 244 p., 17, 90 €.

Giorgio de Chirico, La Conquête du philosophe

mercredi, 14 janvier 2009

La guerre chinoise

"Il y a une guerre incessante : celle qui nous saute à la figure à travers le terrorisme déchaîné par la stratégie directe. Et une guerre plus secrète qui se mène sans cesse, pas seulement économique, et dont les Chinois sont en train de tirer la plupart des fils. Si l’adversaire est unilatéral, je vais faire du multilatéralisme ; comme l’adversaire est capitaliste, je vais devenir encore plus capitaliste. Pratiquer la défensive stratégique, utiliser la force de l’adversaire pour la retourner en ma faveur. Le Chinois s’appuie d’instinct sur la compréhension interne de ce que l’adversaire ose, veut, calcule et est obligé de faire. Il mène une guerre défensive qui peut durer une éternité : sa conception du temps n’est pas la nôtre. Cette guerre peut se prolonger indéfiniment pour user l’adversaire. Elle ne cherche pas l’anéantissement, mais la domination. C’est donc en prenant le point de vue chinois qu’on voit l’histoire de la métaphysique s’achever dans sa propre perversion : dans le nihilisme accompli, qui peut tout à fait être emprunté par la logique chinoise sans qu’elle sorte réellement de sa propre substance. L’être, le non-être, le néant sont redistribués autrement."

Philippe Sollers, Guerres secrètes, plus à lire ici

Ilya

304px-Li_Cheng_Buddhist_Temple_in_Moutain_All.jpg" Le matin, le soleil raccourcit les distances, les yeux portent loin et tout près, l’oeil est comme dans l’oeil de sa perle close. On tient le le globe. Et de même que, dans la nuit, le cercle se referme et se met à plat, chaque matin-perle roule dans sa nacre, dans sa cornée, comme un dé. Là-bas, je vais le toucher là-bas, l’horizon, avec la main, avec une main mentale, mais en même temps la fleur, devant moi, cette rose, s’enlève avec un fracas silencieux. Il y a un soir, il y a un matin. Une racine d’obscurité, une autre de clarté. Ilya . Les étoiles filantes sont comme des lys d’or. On est dans l’anticyclone sec, ami des poumons, des contours. La lutte pour l’espace et le temps ne s’arrête pas une seconde.
Je suis au sud. Je regarde au nord. A droite, rose léger. Le soir, à gauche, couchant rouge. Nuit d’ardoise. On voudrait écrire directement là-dessus, à la craie.
La lune, tôt, fond bleu, trace blanche : un peu de lait, empreinte du pouce nocturne, à demi effacé, au bas du passeport jour.
Dans la brume bleutée permanente, matin et soir finissent par coïncider. C’est le temps vertical, la grande paix. Du geste du matin au geste du soir, c’est comme s’il s’était écoulé d’abord une heure, ensuite une demi-heure, puis un quart d’heure, puis dix minutes, puis deux minutes, puis une minute, puis trente secondes, puis dix secondes — et bientôt c’est le poudroiement intime du temps, j’enchaîne à pic, sans mémoire, le moment vient où je n’aurai plus la possibilité de noter.
Expédition de l’instant, loin, à côté, en Chine, croisière jaune, empire du milieu, tout a disparu, mer sableuse.
Mais le bleu et le blanc, plus ou moins profonds, taches mouvantes, ciel et eau, sont bien comme dans les vases innombrables, moine et disciple sous les pommiers en fleur, " ce monde est un vase sacré, impossible de le façonner ".
Et aussi : " Connais le blanc, adhère au noir. "
Je ne dirai jamais assez de bien du chinois, Reine, chacun de ses caractères, même le plus banal, m’aide à vivre. Tch’ong  : l’eau jaillissante et le vide, vase qui ne se remplit jamais, ou si vous voulez davantage, profondeur insondable où tous les phénomènes se réalisent. Pourtant, tch’ong suffit. Quant au Saint et au Sage, il s’assoit face au Sud, et voilà tout.
Voilà tout .
Vers trois heures et demie du matin, donc, avec pour seuls témoins les feux dispersés de la côte, je me lève, je vais dans le jardin, pierrot lunaire, je développe en moi mes photos de la journée. La nuit est bouclée. Elle est enceinte du vide. Le noir se referme avec la dernière cigarette écrasée dans le gravier. Le pin parasol est l’arbre conseil. Le vent se lève, les étoiles brillent un peu plus.
" L’espace peut être rempli au point que l’air semble ne plus y passer, tout en contenant des vides tels que les chevaux peuvent y gambader à l’aise. "
Ou encore : " Il faut que le vrai vide soit plus pleinement habité que le plein. "
Assemblage air-vent-mer-fleurs-oiseaux. Les phrases à l’écoute. "

Philippe Sollers, Le lys d’or, 1989, Gallimard, p. 133-134.

Le Temple bouddhique à la montagne, estampe du X ème siècle, Li Cheng

dimanche, 11 janvier 2009

La lecture de connaissance

iwzphkfn.jpgLa gnose, dans son insistance sur le Temps, n'arrête pas de dire que toute lecture fondamentale est cognitive, c'est-à-dire qu'elle produit des effets de connaissance. Lisez, lisez bien, lisez encore, et vous ne verserez pas dans la mort. Il ne s'agit pas de répéter des formules magiques, des prières, des borborygmes abrutissants, il ne s'agit pas non plus de textes "sacrés", mais d'un effet d'intelligence. La lecture de connaissance vous tire du temps mort. Elle est donc une révélation que le contrôle doit empêcher par tous les moyens, en menant une guerre sans merci dans l'imprimerie (désormais, dans nos régions, surabondance de livres pour noyer certains livres), mais aussi directement dans les cerveaux qu'il faut sans cesse occuper à autre chose. Toute lecture vivante est donc suspecte, passéiste, élitiste, surtout si elle se dirige vers les temps anciens, lesquels ne sont plus autorisés que sous préservatifs religieux ou universitaire. On veille ainsi à une stricte surveillance du grec, de l'hébreu, du latin, du sanscrit, du chinois classique, le district le plus surveillé restant quand même le français : il est vif, imprévu, il traduit tout ce qu'il touche, sa tendance claire et révolutionnaire est connue.

Philippe Sollers, Les Voyageurs du temps (vient de sortir)

lundi, 05 janvier 2009

Faites l'expérience

Une%20vie%20Divine.jpgFaites l'expérience de vous dire sans cesse: j'étais là, je suis là, je serai toujours là, je suis avec moi jusqu'à la fin des temps, le ciel et la terre passeront, mais ma certitude ne passera pas. Le résultat est terrifiant ou comique. À moins de prendre tout ça à la légère, sur la pointe des pieds, de marcher sur l'eau, de voler. Regardez : j'ai l'air d'un boeuf mais je plane, je suis une mouette, un faucon, un héron. Ma vie est dans les fleurs, les marais, les vignes, les vagues. Je migre, je transmigre, je me réincarne au jugé. On m'enterre, je ressuscite ; on m'incinère, mes atomes persistent et se recomposent plus loin. Dans le monde humain, il m'arrive d'attendre longtemps avant de me reconnaître. J'ai des rêves, des attaques, des pressentiments, je fais des rencontres, je suis bien obligé d'admettre que je suis un autre, et soudain me revoilà, c'est plus fort que moi. Ici, il faut que je me parle doucement à mi-voix, comme quelqu'un qui a peur de réveiller des gens qui dorment et qu'il aime.

Ph.S.

Une Vie divine, Gallimard, Folio n°4533

mardi, 30 décembre 2008

Il faut écouter ses photos si on veut les voir

WillyRonis.jpgSur Willy Ronis, La beauté, lire ici

dimanche, 28 décembre 2008

Eden caché

5782237.jpgEn réalité, personne ne veut du paradis parce qu'il est gratuit. La joie, le bonheur, l'amour sont gratuits. Un amour qui n'est pas gratuit n'est pas de l'amour. C'est la raison pour laquelle le bonheur réel ne peut être que farouchement clandestin dans un monde livré au calcul.

Lire ici : Eden caché

Watteau, embarquement pour l'île de Cythère, détail